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ÄATABA (le seuil)


Création 2008 CND Pantin - Pièce pour cinq danseuses --


Franchir le seuil d’une demeure au Maroc ne se fait pas sans entrer du pied droit et dire «Besmallah ». Ainsi salue-t-on et bénit-on son hôte. Il est d’autres seuils dans ce même pays, mon pays, dont le franchissement suppose d’autres considérations. Je pense aux établissements privés qui se sont multipliés ces dernières années, boîtes de nuits, bars ; je pense aussi aux soirées chez des amis. Souvent situés dans des sous-sols, ces lieux demandent une certaine adresse… en l’espace de quelques marches vous vous retrouvez dehors, à l’air libre : là, plus question de tituber, plus de débauche. Il s’agit d’être impeccable.De nombreux marocains - homme et femmes - mènent ainsi une double vie, qui pour certains relève d’une vraie hypocrisie sociale : on peut être un homme intègre aux yeux de ses proches dans la journée et danser le soir au bras d’une jeune fille d’une autre ville – si ce n’est une prostituée. Et pourtant, ce que je vois dans cet homme à cet instant-là, c’est un sourire, une pause dans les convenances, une liberté. Cette liberté, ne serait-ce que son parfum, c’est ce que nous recherchons dans ces lieux cachés. Ils sont variables, allant du vrai boui-boui à la soirée sélect. Dans tous les cas, les corps se dévoilent, se révèlent à eux-mêmes, et aux autres. Drogue, alcool et prostitution ne restent pas à l’entrée. Une sensualité forte parcourt les salles, on y vient pour s’enivrer, danser, draguer, regarder.


L’intériorité de chacun doit être invisible au-dehors : dans la rue prime l’extériorité des professions ou de la religion. Dans la rue, les corps cessent d’être eux-mêmes. Dans les sous-sols, ils ne se cachent plus : ils osent, ils vivent, ils jouissent. Et oublient tout. On pourrait être n’importe où dans le monde… seulement on est au Maroc.

Je tente d’offrir par la danse un regard sur une telle dualité. Et d’aller plus loin en m’interrogeant sur l’existence d’une chorégraphie marocaine contemporaine. Nous, qui avons étudié en France, en Europe, à l’étranger, nous ne voulons ni être dans l’imitation de l’Occident, ni dans l’exotisme de l’Orient en présentant une danse traditionnelle qui ne tienne pas compte de nos apprentissages. Il faut donc mettre cela en tension, avec nos propres gestes, nos propres pas, notre héritage comme notre connaissance de la danse d’aujourd’hui.


Pour « Äataba » (le seuil), j’invite cinq danseuses : quatre marocaines et une française. Une chanteuse orientale est à leurs côtés, ainsi qu’une bande son composée d’enregistrement de boîtes de nuit, de voix de chefs africains ou arabes, du son d’une corde amplifiée, avec sur scène des bendirs, ces tambourins qui existent partout dans le monde.


Quelle identité pour cette danse ? Elle est en train de naître de mon pays. Le Maroc a toujours été au carrefour d’influences : les berbères avec leur danse, les arabes avec l’islam, puis l’Espagne, les juifs, les esclaves arrivant d’Afrique. Je suis moi-même de famille gnawa, descendant d’esclaves, d’une famille de danseurs et musiciens, mais également ancien boxeur, étudiant en théâtre et en danse, puis danseur formé en Europe… Notre identité naissante est dans la rencontre de ces influences passées et nouvelles. Pour ces corps cachés - et si libres à la fois - seules des femmes peuvent à mes yeux, porter, raconter, ces êtres dans toutes leurs métamorphoses, leurs états, leurs joies et souffrances, leur violence, leur peur, leurs désirs, et les déposer auprès du spectateur – au seuil d’un nouveau regard.


Equipe Artistique :


Chorégraphie : Taoufiq Izeddiou

Interprètes : Ahlam Ettamri, Marjorie Moy, Amal Naji, Hassania Himmi, Sabah Zaidani

Conception musicale : Guy Raynaud





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